Apprentis Musheurs

Apprentis Musheurs

Cela fait 4 jours que nous sommes à Annie Lake. Ce matin, Tamra a prévu de faire une sortie en chiens de traineau, une grande première pour nous. Nous l’aidons à préparer le traineau et l’accompagnons en « ski-doo » (motoneige), une autre grande-première.
Sans aucune explication de sa part, on tente, tant bien que mal, de comprendre les bases du mushing, le fonctionnement de chaque ligne du traineau, le positionnement des chiens, les harnais, l’attelage…
Comment se met le harnais ? Il y a des tailles ? Quel chien va où ? C’est lequel « Panthère » déjà ? C’est quoi la « Tug Line » ? la « Main » ou « Gang » Line » ? la « Leader Line » ? la « Tow Line » ? la « Neck Line » ? On les enfonce où les « hooks » ? et je l’accroche comment le « Quick Release » ?
Dommage que nous n’ayons pas internet, un tuto Youtube ou le « Mushing pour les nuls », aurait été le bienvenu.
Pour le moment, on se contente des cris de Tamra qui nous hurle que ce n’est pas la bonne « line », que ce chien n’est pas « Panthère » mais « ??? » (je n’ai pas compris ce qu’elle a dit), que le harnais n’est pas le bon ou qu’il est mal positionné, qu’il ne faut pas passer près de tel chien avec ce chien, et tout ça, en anglais…

Un fois le traineau sorti, l’ambiance du chenil se métamorphose. Seuls 8 à 10 chiens sont sélectionnés pour courir. A les regarder (ou plutôt, à les entendre), c’est à celui qui hurlera le plus fort ! Ils deviennent totalement hors de contrôle, ils sautent dans tous les sens, aboient, hurlent, gémissent ! Même les chiens les plus craintifs, quasiment inapprochables en temps normal, ont totalement changé de comportement et nous sautent dessus pour être sélectionnés. On ne s’entend plus parler, une scène de chaos, ou presque.
Résultat de la première préparation, une bagarre de chiens sur l’attelage, des coups de pieds, des coups de poings pour les séparer, un chien amoché, des hurlements et nous deux, paniqués, ne sachant plus où donner de la tête… Quel début !

Après 45 minutes, l’attelage de 8 chiens finit tant bien que mal par être prêt et Tamra décolle… nous la suivons de près en motoneige. Quelques mètres plus loin, elle s’arrête, il faut courir pour l’aider à retenir le traineau pendant qu’elle change les chiens de position (les ancres, « hooks », censées retenir le traineau dans la neige ne tiennent pas dans la poudreuse). Elle s’arrête de nouveau, les chiens n’ont pas tourné à l’intersection, il faut tirer tout l’attelage dans la bonne direction. On repart puis, un nouvel arrêt, un des chiens s’est emmêlé une patte dans la « Main line ». A peine le temps de souffler qu’une ancre s’est coincée sous un patin du traineau. Il faut l’aider à soulever et retenir le traineau pendant qu’elle dégage l’ancre. Finalement, le traineau finit par se renverser dans un virage en épingle. Tamra ne lâche pas la « handlebar » (le guidon) et se fait trainer par les chiens qui continuent de courir sur plusieurs mètres… On part à sa rescousse.
On rentre de ces 15 kilomètres épuisés… Il faut encore décrocher tous les chiens, enlever leur harnais, les emmener à leur niche respective et tout ça, sans connaitre leur nom et leur place. Et puis, ce n’est pas comme s’ils se ressemblaient tous ou presque. Il y a les noirs, les gris, les roux, les blancs et noirs, les noirs et blancs, les gros, les petits… Il va où celui-ci ? C’est « Talon » ? Non, je crois que c’est « Envy » ? Ah et bien non, j’entends Tamra crier au loin, ça doit être « Timber »…

Celui-ci, c’est Envy ? Talon ? Ginger ? Timber ?

Pour une sortie initiation, on n’a pas été déçus… On rentre épuisés à la cabane. Un petit casse-croûte et nous voilà repartis pour une nouvelle sortie. Cet après-midi, on ne retrouve plus les ancres, ni la « leader line » qu’on avait laissées sur le côté ce matin. Depuis, il a neigé, tout est enseveli… Décidément, on a beaucoup à apprendre.

La boucle classique d’entrainement fait 15 kilomètres. Elle commence face à la cabine, sur le lac gelé. Le chemin s’enfonce ensuite dans la forêt (précédemment damé par la motoneige trainant une palette), traverse une route, un ruisseau gelé et rejoint un plateau. Il y a des montés, des descentes, des virages en épingles (en descente), et le tout, sur un chemin d’à peine deux mètres de large bordé de conifères (autrement dit, autant de risque de collision et d’accident).

Sur le retour, Tamra s’arrête de nouveau, monte à l’avant du traineau et demande à Geo de prendre les commandes. C’est une ligne droite mais ça n’empêchera pas Geo de finir dans le fossé, à peine 50 mètres plus loin… Il remonte sur la motoneige déprimé en m’expliquant qu’il ne sera jamais Musheur. A mon tour de prendre les commandes, tout se passe bien jusqu’au premier virage, où je finis dans un trou avec tout l’équipage… Comment tourner ? Il faut pousser sur ses pieds ? Tirer sur la Handlebar ? Transférer son poids ? D’ailleurs, quelles sont les commandes ?

Trois jours passent, nous repartons en traineau. Cette fois, Tamra a accroché un second traineau derrière le sien (sans chien donc). Pour tirer ce surplus de poids, 10 chiens composent désormais l’attelage, soit, un risque accru de bagarres… Et bien non, ce coup-ci, deux chiens ont profité de cette « escapade » pour copuler. Ils semblent coincés, cul à cul. Je ne sais pas quoi faire, je n’ai jamais vu ça. Je crie à l’aide. Tamra part chercher un seau d’eau froide mais ils finiront par se séparer comme par magie… (J’apprendrai plus tard que cet étrange phénomène, tout à fait normal et naturel, s’appelle le « nouage » et que le mieux, c’est de ne rien faire, au risque de blesser les chiens).

Geo monte sur le second traineau tandis que je le suis en motoneige. Les virages se passent plutôt bien ou presque. Tandis que le traineau de Tamra avance en ligne droite, le sien, zigzague. Il revient super-content, il veut désormais être musheur … Bon, encore faudrait-il que son traineau soit tiré par des chiens. Le jour suivant, nous inversons les rôles.

Le grand jour !

Cela fait maintenant deux semaines que nous sommes là et nous connaissons désormais le nom de…5 chiens, les autres sont définis par des surnoms essentiellement basés sur les couleurs de type : le vieux noir, le vieux blanc, le noir timide, le noir craintif, le noir à côté du noir craintif… Nous apprendrons tous les noms un mois plus tard, lorsque Tamra daignera à annoter notre schéma du chenil.

Nous avons pris l’habitude de préparer et d’équiper son traineau avant chaque sortie, de mettre les harnais aux chiens (même les plus récalcitrants) et de surveiller les bagarres au départ. D’ailleurs, mettre un harnais à un chien de traineau relève du parcours du combattant. Geo s’occupe des plus coriaces. Je le regarde au loin, il semble en plein combat de lutte. « Envy », trop heureux d’aller courir, lui saute au visage (ce qui a déjà provoqué quelques yeux au beurre noir à Tamra), il tente de lui passer le harnais par la tête, raté, il recommence, c’est fait. Il maintient désormais le chien entre ses jambes tandis qu’il essaie de lui passer chaque patte dans les bons emplacements. Envy parvient à lui échapper, le harnais se tourne, s’emmêle, il ne sait plus dans quel trou mettre la patte avant. Envy 1 – Geoffrey 0. Il finit par lui enlever complétement et recommence l’opération…

Cette étape réussie, il faut ensuite rejoindre le traineau en traversant, bien évidemment, tout le chenil. C’est un vrai terrain miné… Chaque chien défend ardemment son territoire. Les coups de crocs dans le dos sont coutumes. Les chiens équipés de leur harnais sont ensuite attachés aux lignes du traineau par des maillons métalliques, une opération qui demande de la dextérité et donc de retirer les gants. Or à -30°C, le métal et la peau ne font pas bon ménage…
Alors que nous préparons son traineau, elle nous demande d’en préparer un second avec un équipage de six chiens, le nôtre ! Nous sommes surexcités !

Le départ est toujours le moment le plus stressant. Les chiens, une fois attachés, deviennent littéralement fous et ne pensent qu’à partir comme des furies. En attendant que Tamra et mon apprenti musheur apportent les 6, 8 ou 10 chiens, ceux qui sont déjà attelés, sautent sur place, tentent de tirer le traineau, mordent leur « neck line » (ligne du cou), se battent, s’emmêlent avec le chien voisin.
Après avoir assisté à ma première bagarre traumatisante, je fais maintenant régner l’ordre, telle une dictatrice, et crie au moindre grognement ou mâchouillage de ligne (je fais même peur à Geo). C’est une technique simple et efficace qui prévient les bagarres, ou presque. Il y a tout de même quelques ratés. Dans ce cas, les coups distribués par Tamra ne servent strictement à rien. Impossible de leur faire ouvrir la mâchoire, ils ne lâchent pas prise, tels des crocodiles. Nous avons donc adopté notre propre technique pour ces situations extrêmes, soulever les deux chiens par les pattes-arrière. Surpris, ils lâchent prisent (merci youtube !). Eh oui, comme les gens disent ici, ce ne sont pas des « pet dog » (des chiens domestiques) mais des chiens de travail. Ils n’ont pas d’éducation particulière, leur instinct prime, ce sont des Huskys (Alaskan en l’occurrence), les chiens les plus proches des loups. Bref, autant vous dire, aucun écureuil ne s’essaie à traverser le chenil.
Lors de la préparation, le traineau est retenu par deux ancres enfoncées dans la neige qui ne suffisent pas à elles seules. Une ligne supplémentaire, équipée d’un « Quick release » (attache/détache rapide) est attachée à un arbre ou à la motoneige. Au moment du départ, il faut détacher le « Quick release » et retirer rapidement les deux ancres avant que les chiens ne les arrachent… La vitesse de pointe au départ atteint les 32 km/h.
Geo réussi son départ ou presque, il a heurté une souche et a dû courir à côté. Le voilà maintenant lancé sur le lac, il franchit la route et atteint la piste. Tamra est devant avec son traineau et je les suis en motoneige. Notre convoi atteint la forêt. Geo serpente entre les arbres, franchit la rivière gelée et s’engage dans un virage en épingle. Le traineau heurte un arbre de plein fouet. Il parvient à le stabiliser et rester debout. La vitesse sur le plat n’est pas très élevée (18 km/h) mais avec tous ces arbres le long du chemin, on a tout de même une bonne dose d’adrénaline.
Il arrive à une intersection, comment demander à l’équipage de prendre à droite ? A défaut d’avoir eu des instructions et des conseils de Tamra, nous avons pris les devants en lisant des livres sur le mushing. « Gee » pour droite, « Haw » pour gauche, « Easy » pour ralentir, « On by » pour continuer, « Hike » pour partir, « Up up up » pour les encourager et « Wowwww » pour tenter de les arrêter (ce qui, je dois l’avouer, ne fonctionne jamais). Ça, c’est la théorie, en pratique, c’est au bon vouloir des chiens… Pour maitriser la vitesse, il y a un « Pad », une sorte de tapis rugueux (pour ralentir) et un frein (une barre métallique avec des pointes) situés entre les deux patins du traineau.
Geo finit sa sortie super heureux. Il vient de conduire son propre équipage, ici, dans le grand nord Canadien !

Cet après-midi, nous inversons les rôles. Contrairement à Geo, je n’aime pas vraiment la vitesse dans les descentes et j’appuie parfois avec mes deux pieds sur le frein. Arrivée au virage en épingle, j’heurte également un arbre, le traineau se renverse, je reste accrochée à la « Handlebar » (le guidon) et me fait trainer au sol par les chiens pendant 30 mètres avant qu’ils daignent s’arrêter (je vous l’ai dit, le Wowwww, c’est de la théorie). Je suis couverte de neige, dans le cou, les chaussures, les gants…

La sensation de glisse est géniale mais je n’ai pas vraiment le temps d’apprécier le paysage. Il faut rester attentif à chaque seconde, maitriser la vitesse du traineau en descente pour qu’il ne rattrape pas les chiens, éviter les branches et les arbres couchés au milieu du chemin (ça évite de perdre une tête), anticiper les virages, pousser le traineau en montée, surveiller qu’aucun chien ne s’emmêle une patte dans une ligne, s’arrêter lorsqu’un chien commence à faire ses besoins en pleine course (ce qui arrive environ toutes les 10 minutes) … bref, c’est intense.

Au Yukon et en Alaska, le « mushing » est une véritable attraction. Autrefois, utilisés comme moyen de déplacement (c’est encore le cas dans plusieurs endroits reculés), les chiens de traineau sont désormais utilisés pour le tourisme mais aussi et surtout, pour les courses. Deux compétitions sont mondialement connues, la « Yukon Quest » et « l’Iditarod ». Dans les deux cas, il ne s’agit pas simplement d’une « course de vitesse » mais bien d’une véritable « expédition », une aventure, voire un défi, que ce soit pour les chiens comme pour le musheur. Longues de 1 600 kilomètres, elles traversent des paysages inhabités, totalement vierges. Il n’y a aucun balisage ou presque. Seuls quelques « checkpoints » permettent aux musheurs de se ravitailler. Ils sont donc livrés à eux-mêmes dans le « wild », avec la faune locale (orignaux, loups, bisons, etc.), dans des conditions météo extrêmes et sans possibilité de secours. Dormant dans leur traineau avec leurs 16 chiens, il se déplacent également de nuit, à la lumière de leur frontale. Les meilleurs musheurs, considérés comme de véritables « stars » (le Zizou local), parcourent ces 1 600 kilomètres en 9 jours.

Revenons-en à nos deux apprentis musheurs et à leurs 15 kilomètres…
Nous effectuons deux à quatre sorties par semaine, quelles que soient les conditions météo (sous la neige, le vent, à la tombée du jour). Seules des températures supérieures à -5° degrés (oui oui, c’est arrivé une fois), nous empêchent de faire courir les chiens à cause du risque de surchauffe.
Entre deux sorties, on part en motoneige damer la piste, dégager les branches tombées sur le chemin, pelleter les entrées et sorties de route, marquer le trail sur le lac balayé par le vent et les tempêtes de neige. Les noms des 55 chiens commencent à rentrer, nous prenons nos habitudes, nous anticipons les virages, nous levons le pieds dans les descentes. On change d’ailleurs rapidement de motorisation, de 6 à 8 chiens. Geo enregistre notre temps à chaque sortie. On passe de 1h15 à 1h00 puis à 43 minutes pour parcourir les 15 kilomètres.

A l’occasion de Noël, Tamra a deux semaines de vacances, ce qui, en d’autres termes, signifie deux semaines intenses de mushing, et ce, à raison d’une à deux sorties par jour. Parfait pour progresser ! Je commence à avoir mes chiens « favoris ». Il y a les « leaders » qui sont placés en tête et qui répondent aux commandes vocales (en théorie), les « swings », placés en seconde position qui aspirent à être leader un jour, la troisième ligne (des chiens d’équipe) et surtout les « wheels », placés en dernière position, juste devant le traineau. Ce sont habituellement les chiens les plus forts, les plus trapus et, dans notre cas, les plus fous et les préférés de Geoffrey.

En début d’année 2021, on convint Tamra de s’inscrire à une course locale, la « Carbon Hill », afin de découvrir le milieu de la compétition et de rencontrer d’autres musheurs. On se rendra compte que nos chiens (qui ne sont pas vraiment des chiens de « sprint » mais plutôt de « longues distances ») manquent cruellement d’entrainement par rapport à d’autres équipages. Quoi qu’il en soit, ce sera une bonne expérience, transporter 8 chiens dans un pick-up, découvrir l’univers du mushing et du skijorring (course en ski avec des chiens), rencontrer d’autres musheurs et « handlers » comme nous. D’ailleurs, nous ferons la connaissance de nos voisins, dont Marcelle Fressineau (que l’on considère comme une « grande Musheuse » et qui a participé plusieurs fois à « l’Iditarod » et à la « Yukon Quest ») et ses deux « handlers », Flo et Marion, qui deviendront nos premiers potes du Yukon.

Après plus de 50 sorties, les 15 kilomètres du trail d’entrainement nous paraissent limités. On a envie de changer de terrain de jeu et de s’aventurer plus loin, voire de partir plusieurs jours et de bivouaquer avec les chiens. La maitrise du traineau s’améliore et on prend de plus en plus de liberté. La réussite des virages en « S », sans renverser le traineau ou heurter un arbre, constitue désormais le nouveau challenge.

Il y a tout de même quelques échecs, dont certains méritent le détour :

  • Un virage serré un peu trop proche d’un arbre. Bilan : traineau renversé et amoché. Heureusement, on a pu réparer les dégâts.
  • Un pont de glace a obstrué une petite rivière qui a débordée, inondée un énorme secteur puis gelée, formant un immense terrain de hockey. Bilan : on s’est retrouvés à devoir faire demi-tour en plein milieu du trail avec deux traineaux et 16 chiens. Oui, il n’existe pas de commande marche-arrière… les chiens ne pensent qu’à courir en avant, en avant et toujours en avant. Faire demi-tour sur un trail de deux mètres de large avec un mètre de poudreuse sur les côtés, en gardant la ligne principale tendue pour éviter que les chiens ne s’emmêlent et ne se bagarrent, et tout ça, sans qu’ils repartent comme des fous une fois le demi-tour effectué… Vous avez deux heures pour résoudre l’énigme.
    Finalement, tout s’est bien passé, hormis Geoffrey qui a perdu sa botte dans la poudreuse et s’est retrouvé en chaussettes dans la neige…
  • Ma doudoune, qui a tenue 30 minutes, déchirée par les griffes d’un chien un peu trop content (le scotch rouge, appelé Tuck Tape, fait parti du « Yukon style ») …
  • Geoffrey, qui a attrapé des engelures à 4 doigts à cause des -25°C lors d’une sortie en traineau et de ses gants mouillés. Il n’a pas dormi de la nuit…

Incroyable bonus pour cet article, nous avons enfin… (roulement de tambouuuuuuurrrr) : une vidéo !!!

Entre toutes ces sorties, on a eu beaucoup de temps-libre, l’occasion pour nous de pratiquer de nombreuses activités, motoneige, randonnée, pêche sur glace, construction d’un quinzee, etc.
La suite au prochain épisode.

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