Vancouver Island Sud

Vancouver Island Sud

Après deux heures de traversée en ferry, nous posons le pied sur cet îlot de terre. Nous pensions échapper à l’agitation de Vancouver, il n’en est rien. Circulation difficile, centres commerciaux, rues achalandées, malgré l’océan, la proximité de la métropole se ressent.

Nous fuyons au plus vite cette partie de l’île, en direction des terres et du lac Cowichan, à la recherche de calme et de nature.
Notre déception est comparable à la taille du lac, immense. Les chemins forestiers et les accès aux sites récréationnels sont condamnés par des barrières, les berges du lac sont privatisées et occupées par des résidences. Nous n’avions pas rencontré cette configuration depuis le Québec, nous sommes un peu déstabilisés. Garés le long d’une barrière, nous rejoignons le lac à pieds, une bière à la main, pour profiter de la douceur de cette soirée. Eh oui, seul bon point, les températures sont positives. Les doudounes, les bonnets et les gants sont restés dans Raccoon.
La nuit est agréable jusqu’à… 4h du mat’. Un premier véhicule passe, surement un ouvrier très matinal. Puis, nous assistons à un déferlement d’engins et de camions forestiers, une vraie autoroute. Nous qui croyions être sur une petite piste tranquille, on s’est mis le doigt dans l’œil.
Fatigués, nous prenons la direction de Port Renfrew, situé sur la côte Ouest.

On retrouve une forêt humide (plus ou moins déforestée) accompagnée, bien évidemment, de la pluie. Pour autant, les lacs, les rivières, la brume et cette humidité ambiante participent au cachet des lieux. Sur place, il n’y a que quelques cabanes occupées par des premières nations. On retrouve alors un peu de quiétude.

Les randonnées sur le littoral sont particulièrement boueuses et plusieurs d’entre-elles sont fermées en raison de la présence d’ours. Nous ne croiserons personne.

Le lendemain matin, la météo est au beau fixe, on se promène de plage en plage en simple pull-over, on se prendrait presque pour des vacanciers. A 8 000 kilomètres de nous, la France s’apprête à subir son deuxième confinement…

Les yeux fixés vers le large, je distingue de l’activité. Un aileron, un jet d’eau, une queue… un gang de baleines à bosse parade devant nous. Spectacle magique que nous garderons en mémoire.
Le moral à bloc après cette première rencontre avec la « wildlife », nous découvrons, au détour d’une seconde randonnée, une rivière bondée de saumons tigrés, des « Chums ».

Ils tentent de franchir, tant bien que mal, tous les obstacles de la rivière. Geoffrey se moque bien de moi lorsque, en véritable supportrice, je les encourage et les guide dans la meilleure direction à prendre. Nous resterons plus de deux heures à les observer, sauter de bassin en bassin. A quelques mètres de nous, c’est la cantine ou plutôt le fast-food des ours. Plusieurs dizaines de cadavres de saumon jonchent la berge, seules les têtes ont été mangées. Et dire que, petite, on me forçait à finir mon assiette avant de quitter la table…

Nous partons ensuite pour Victoria, capitale de l’île de Vancouver. La ville possède un véritable charme, avec son quartier chinois, ses façades illuminées et son « hydro-aéroport » dans le vieux port.

Nous reprenons la route à la recherche d’un petit village où passer la nuit.
Samedi matin, 10h00, on se lève, la vie de ce hameau a repris. Je fais remarquer à Geoffrey que nous sommes chanceux qu’il n’y ait pas de marché aujourd’hui. Garés sur la place centrale, nous aurions été malins, coincés entre le stand de légumes et le boucher.
En route pour Port Alberni, nous nous arrêtons à plusieurs reprises randonner et pratiquer notre activité du moment, l’observation de saumons.

Je suis impatiente que la nuit tombe, c’est Halloween ! Avec les écarts de température des dernières semaines, notre citrouille est complètement pourrie, édentée, son sourire a disparu et elle commence même à porter un petit duvet, bref, c’est devenu « Papy Pumpkin ». Je n’ai qu’une hâte, la mettre au feu pour fêter ça !
Malgré l’humidité ambiante, on parvient à démarrer un bon feu, à brûler notre semblant de citrouille et, chose rare depuis quelques temps, à se doucher (cela faisait 7 jours). Nous sommes le 31 octobre, ce sera la dernière douche extérieure du voyage que nous prendrons. On s’endort propre, sans citrouille, sans déguisement et sans bonbon.

Difficile d’admettre que plus de la moitié de notre voyage est désormais derrière nous. En fonction du moral du jour, la suite de notre aventure nous fait parfois peur, nous angoisse ou alors, nous enthousiasme.
Aujourd’hui, nous passons la journée à enchainer des randonnées plus ou moins longues le long de la côte Ouest entre Ucluelet et Tofino, plus connu pour ses plages et ses surfeurs que sa forêt primaire humide, pourtant magnifique. Il est 17h00 sur la plage de Long Beach, le soleil se couche. Le ciel orangé contraste avec les surfeurs en combinaison, scène digne d’une carte postale.

Ce soir, nous sommes invités par Jeremy (le fameux photographe rencontré à Terrace) chez l’un de ses amis, Paul. Sans le savoir, nous nous apprêtons à vivre l’une des soirées les plus déstabilisantes de notre voyage. Ces deux personnages charismatiques nous racontent tour à tour leur arrivée au Canada, leur histoire, leur philosophie de vie et leurs projets. On se questionne sur nos motivations, nos désirs et nos projets de vie respectifs. S’ensuit le visionnage d’une vidéo de Paul, en pleine construction d’une cabane en fuste dans le grand nord, en Alaska. Il n’en fallait pas moins pour donner des idées à Geoffrey et chambouler tous nos projets. Ce soir, lui qui est d’ordinaire moteur dans les conversations et au centre de l’animation, reste passif, assis sur sa chaise, sans dire un mot, pensif et rêveur.
Nous quittons ce repas et rejoignons Raccoon pour y passer la nuit. Impossible de trouver le sommeil, perdus dans nos pensées, en pleine réflexion sur le sens à donner à notre voyage et notre vie. Geoffrey me fait part de ses réflexions :

Je ne souhaite pas rentrer en France pour vivre dans un appartement, ni une maison de lotissement, pas question non plus de vivre pour travailler, et par-dessus tout, je ne veux pas rentrer dans le moule de la société, et pourtant. Je suis faible, je manque de courage.
Je repousse mes désirs par facilité et méconnaissance. Je m’accroche à ce que j’ai. Je choisis la facilité à la liberté. Je me satisfais de ce que j’ai et ne cherche pas à découvrir mes réelles envies. J’aime le bois, l’apprentissage, les grands espaces et leur sensation de liberté, la pêche et les milieux aquatiques, l’autonomie, l’indépendance, et pourtant, je n’ose pas.
J’aimerais ne pas avoir la sécurité de cet emploi en France, ou plutôt devrais-je dire, la facilité de cet emploi. Être totalement libre, non influencé. Dans de telles circonstances, je ne rentrerais pas en France, je chercherais à donner un sens à ma vie ici, dans ces grands espaces, avec toi. Il y a aussi cette échéance, ce retour en France en mai 2021, qui m’empêche de profiter pleinement.
Ma liberté est retenue à un fil élastique, en pleine extension en ce moment, il va finir par se rétracter et le retour à la réalité va être d’autant plus brutal.
J’ai peur de rentrer, de retrouver mon travail, ma famille, mes amis, ma routine, des projets trompe-l’œil et de me mettre des œillères. Reprendre une vie frénétique à courir tous les jours. Je veux prendre le temps de vivre sans me précipiter or je sais très bien que de retour en France, je retrouverai très vite cette mentalité et que toute cette rébellion intérieure sera derrière moi, oubliée, compromise par mes besoins du moment.

Si seulement ce voyage pouvait me permettre de m’éveiller et prendre conscience de tout ça, de définir le sens que j’ai envie de donner à ma vie…

Là, je suis sûre que vous vous dites : « Oh purée, Geo va rentrer avec un bandeau dans les cheveux et un T-shirt à l’effigie de Che Guevara ». En tout cas, moi, c’est ce que je me suis dit… Il est où le mec accro au sèche-cheveux qui passait ses dimanches soir à repasser toutes ses fringues jusqu’à ses caleçons ?

Je me rends compte que Geo se transforme et évolue au fil notre voyage, à la recherche de sa propre identité. J’ai l’impression d’être les rampes d’une piste de bowling. J’essaie de le guider dans sa propre voie, sans le freiner, sans qu’il se perdre et qu’il atteigne son strike.
Quant à moi, je dois aussi gérer mes propres réflexions. Je me réveille également chamboulée (la bouche sèche et pâteuse en prime). Je me sens déprimée, perdue et abattue. Je ne traverse pas exactement la même crise que lui. Mes préoccupations sont plus tournées vers la suite à donner au voyage qu’au sens de ma vie (une chose après l’autre). La journée s’annonce donc bien morne, d’autant plus qu’ils annoncent une tempête avec près de 100 mm de précipitations, de quoi bien ruminer dans 9 m².
On s’arrête en chemin le long de la Taylor River, une rivière magique par sa transparence et ses fonds bleu turquoise. Les saumons sont partout et, cerise sur le gâteau, la forêt est remplie de girolles. Nous partons en quête de champignons avant la tombée du jour.

Encore dans le flou de la veille, j’impose à Geoffrey un « brainstorming » (un remue-méninge).

Il est temps de se poser les bonnes questions !

Installés au bord de la rivière, on se penche sur internet, les sites de voyage, les restrictions aux frontières et les conseils aux voyageurs. Le Costa Rica ne nous enchante plus de tout. Cela parait bien trop touristique et trop étroit à notre goût. Qu’allons-nous faire dans ce pays aussi grand que l’île de Vancouver pendant près de 3 mois ? Le Costa Rica, c’est la facilité mais est-ce vraiment ce que l’on recherche ? Le but de ce voyage est-il de se prélasser sur des plages de sable fin en sirotant des cocktails ?
On écarte donc l’idée du Costa Rica et on se penche sur les autres pays d’Amérique Centrale. Guatemala, Nicaragua, Panama, tous y passent. A chaque fois, le même discours, trop dangereux en tant que nomades en sac à dos, frontières trop contraignantes en temps de Covid, système de santé et problème de prise en charge en cas de maladie…
Geo a l’idée de rejoindre l’Amérique Centrale en van avec Raccoon en traversant les États-Unis puis le Mexique. On s’emballe, on se penche sur les formalités, l’assurance du véhicule et les démarches administratives. Enfin un bon compromis entre, voyage et aventure. Le glas finit par sonner. Les frontières américaines sont toujours fermées. Deux heures de recherche dans le vent. Nous repartons de zéro.

Que voulons-nous vraiment ?
La réponse est assez simple…
Vivre une aventure !

On se questionne sur ce que l’on souhaite vraiment, des grands espaces, la sensation de liberté, de l’aventure, l’apprentissage de nouvelles compétences, des échanges avec des locaux, la sécurité face au Covid.
Roulement de tambour… Pourquoi ne pas rester au Canada ? Le pays est largement assez grand pour rassasier notre soif d’aventure. Et puis, quitte à passer l’hiver ici, autant vivre un vrai hiver canadien. C’est donc décidé, nous irons dans le grand Nord, au Yukon, « The last border », le territoire situé à la frontière de l’Alaska. On s’imagine déjà dans le Wild, à vivre dans une cabane en rondin et à se déplacer avec des chiens de traineau. Autour de nous, rien ou presque, de la neige, du froid et des lacs gelés.
Nous sommes convaincus ! Les premiers mails aux Mushers (guides de chiens de traineau) partent et les réponses négatives ne se font pas attendre. La saison a déjà commencé. Décidément, nous avons toujours un temps de retard dans nos projets (comme pour l’érablière à notre arrivée au Canada).

Les heures passent, le soleil se couche et nous n’avons pas bougé d’un poil. Nous sommes toujours à Port Alberni. Nous y passerons donc la nuit. On s’endort en pensant à notre nouvelle destination.
C’est donc un vrai revirement de situation. Nous étions partis pour le Costa Rica et ses plages ensoleillées, nous voilà propulsés dans l’inconnu du grand Nord Canadien !

Les photos par ici !

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